C’est dans le crépuscule que je l’aperçus pour la première fois. Elle était là, assise seule sur un coin de banc, à observer le fleuve qui dormait. Son visage était pâle, sa chevelure aussi sombre que la nuit et ses yeux étaient tels deux émeraudes qui scintillaient. Elle semblait emplie d’une certaine mélancolie heureuse, à contempler le soleil se coucher sous son regard ébahi, comme si le monde était en train de naître sous ses yeux. Je n’avais pas vu de telle fascination depuis bien longtemps.
Il se dégageait d’elle une insouciance belle, non pas naïve, mais plutôt de celles qui donnent envie d’exister et de saisir chaque instant. Je me suis approché, à pas feutrés, avant de m’asseoir délicatement sur la place laissée vacante près d’elle, pour contempler à mon tour ce spectacle. Le ciel avait des couleurs tout droit sorties des songes et se reflétait dans les ondulations de l’eau. La lune se découvrait peu à peu dans un coin de ce ciel rose orangé.
Nous étions alors assis, l’un près de l’autre, silencieux, regardant dans la même direction, isolés du monde, dans la fissure du temps. Deux âmes esseulées. Puis, dans le demi-jour, sans que je m’y attende vraiment, elle détourna doucement son visage vers le mien, laissant nos regards se croiser. Ses yeux dégageaient alors une aura plus belle encore que lorsque je les avais aperçu la première fois. Elle laissa alors s’esquisser un sourire sur la commissure de ses lèvres, avant de contempler de nouveau le paysage.
Alors que la nuit commençait à arriver, que le soleil s’était endormi, elle se leva tout doucement. Puis, sans que je ne m’y attende vraiment, elle me tendit la main, me proposant alors de l’accompagner, pour une promenade nocturne, sous les étoiles. Elle semblait si radieuse et mystérieuse, que je ne pouvais point refuser une telle parenthèse.
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Une rencontre. Un regard. Un sourire. Si furtif et pourtant plein de sens, comme une preuve inavouée d’un désir plus intense, qui s’échappe lentement dans un dernier soupir. Voilà ce qu’il me fallait pour raviver en moi cette flamme perdue, cette envie d’exister et de pouvoir être aux yeux d’une inconnue plus qu’un simple passant au milieu d’une foule immense. Je me vois déjà parcourir l’univers à ses côtés, découvrir les secrets dont recèle l’existence, bercé par un sentiment de légèreté et d’abandon. Nos pas résonnant sur le pavé d’argent, les mains liées et ne semblant pas décidées à se lâcher. Compter les étoiles qui scintillent au-dessus de nous, comme une pluie de joyaux luminescents ornés de diamants. Transformer l’éphémère en éternité.
Je nous vois déjà philosopher de tout, de rien, de la vie, de l’avenir, d’hier, et de sujets volages, sous le regard bienveillant de la lune, illuminant le ciel de sa pâleur divine. S’exposer nos blessures enfouies, se perdre dans des discussions stellaires, se raconter nos vies, tirer des plans sur la comète, se faire des promesses insensées, avec l’envie inavouée de voir nos lèvres s’effleurer au fil des secondes qui s’écoulent inlassablement.
Suspendre ce temps assassin qui s’échappe bien trop vite. Prendre le temps de contempler chaque trait dessinant son visage angélique, ses joues, son sourire, son regard. Se perdre dans la profondeur de ses pupilles étincelantes et dorées. S’enivrer de son parfum sucré et de sa longue chevelure ténébreuse, caressée par le souffle léger du vent. Prendre une photographie de ce moment hors du temps et le graver à jamais dans ma mémoire.
Dans cet élan d’enthousiasme euphorique, je nous imagine longer les berges du fleuve qui ruisselle en silence, reflétant tel un miroir céleste les lumières des bâtiments millénaires, qui jouxtent le bord des quais. Marcher au fil de l’eau, dans un silencieux vacarme, à la fois doux et magique. Faire de cette nuit une déambulation sans fin, et rester à ses côtés pour l’éternité, sans qu’il n’y ait jamais de lendemain à cette soirée. Fermer les paupières, et ne penser qu’à ça.
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Nous marchions alors, depuis bientôt des heures, sans voir que le jour, peu à peu, se levait à l’horizon. De nouvelles lueurs habillaient le silence. Le temps était passé comme une ellipse, qui contenait à elle seule, toutes les douceurs de l’existence. Où suis-je donc passé tout ce temps ? Tout ceci était-il un mirage ? Non. Il suffisait que je tourne la tête pour voir de nouveau son visage. Je n’aurais jamais pensé vivre tant de choses dans un laps de temps à la fois court et long. Je ne sais vraiment ce que j’ai ressenti, mais je ne m’étais pas senti si léger depuis bien longtemps, bien plus léger encore le vent lui-même.
Après ces heures entières de rêve, nous regagnions alors ce banc, sur lequel nous nous étions rencontrés. Il était resté là, vide et silencieux, comme s’il attendait notre retour pour servir de nouveau. Nous étions tous les deux, à observer le même horizon, renaître sous de nouvelles couleurs. Il n’y avait que nous. Le soleil éclairait alors notre peau, avec un éclat que je n’avais jamais vu auparavant. Elle était toujours près de moi, plus lumineuse chaque seconde.
Puis, le temps passant inlassablement, il était l’heure pour moi de m’en aller. Alors, dans un dernier bruissement, je me suis levé du banc et, après un ultime regard, nous nous sommes peu à peu éloignés. Je suis presque sûr qu’à ce moment-là, mon cœur flottait.

Belle parabole de l’amour. Sentiment d’éternité.
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